Vivre
chaque jour comme le dernier et pourtant chaque série picturale,
même de longue haleine, comme nécessaire dans le temps.
Roland Weber fit ainsi dans la santé fougueuse de sa jeunesse
et plus encore pendant les dix dernières années de
la vie de plus en plus menacée de sa maturité. A la
fois distanciation et affirmation de la vie jusqu'aux confins et
dans la conscience de la mort.
De longues séries se succèdent dans son oeuvre avec
les ruptures que la liberté exige pour être fidèle
à soi-même : Puiser, épuiser, renaître,
toucher terre à nouveau avec la couleur en soi et la joie
de peindre.
Couleur, pacte de vie : rouge pur du sang qui appelle l'air invisible
à se manifester dans le rythme modulé de la respiration
; verte chlorophylle née de la lumière impalpable
pour la croissance des plantes. Tout est lié...croissance...respiration
: mêmes lois, mêmes échanges vitaux dans le domaine
spirituel. C'est le travail du peintre appliqué au vivant
de le rendre sensible, à la mesure et dans l'émotion
de son monde intérieur car c'est de sa propre lumière
qu'il s'agit dans le pacte très intime inscrit dans le secret
de son être entre la couleur et lui.
Ainsi dans les "Etudes en Un" et les "Etudes en trois",
peintures à l'huile du début des années soixante,
obéissant à son mouvement intérieur, Roland
Weber disperse le pigment et le pousse du pinceau jusqu'à
ce que naissent de la couleur transfigurée les lignes qui
structurent la surface et créent la profondeur.
Présence prégnante du paysage, libération de
la forme et connaissance intime de la couleur se distinguent et
se conjuguent dans ses grandes peintures sur papier des années
soixante :
Paysages d'une nature en mouvement, de " la nature naturante
plus que naturée " selon l'expression de Klee, ou portraits
de l'être en devenir, dans la genèse de son existence.
Sous l'impulsion de touches serrées et fouilleuses ruissellent
la lumière et la vie de la couleur.
Lumière et vie renouvelées dans l'ample mouvement
des peintures de "L'évangile selon st Matthieu"
au moyen d'une touche plus large, audacieusement, intemporellement
figurative.
A partir de 1967 Roland Weber décide de peindre avec une
peinture vinylique industrielle, qui lui convient dans son emploi,
son pigment, son rendu, des oeuvres très gestuelles, jaillissement
de couleurs et de figuration libre.
Dans le même temps se succèdent ses collages par détrempe
sur toile, parfois retravaillés graphiquement et ses collages
repeints vinyle composés par rapport à un thème
ou à l'actualité et à la publicité.
Sa manière à lui, en résonance de ce qui se
créait ailleurs, d'être confronté au déferlement
d'images d'une civilisation normative et réductrice. Il compose
alors par assemblages, par cloisonnements, comme dans des bandes
dessinées, des peintures relatives à la vie citadine,
quotidienne, médiatique.
Les années soixante-dix sont marquées par son retour
à une nature intériorisée plus végétale,
par l'emploi de la couleur pure et l'affirmation de sa texture picturale:
Fragmentation élaborée de la couleur qui irrigue,
telle une sève, toute la surface et crée l'unité
respirante d'un espace autonome intérieur et cosmique resserrant
l'infini à la surface peinte.
En témoignent les toiles "Elémentaires et fondamentales"
de 1974 et la série des monochromes de 1977 , que la couleur
soit posée en aplats acryliques ou travaillée en ovales
et en transparence dans la fluidité.
Recherche qui se poursuit avec les monochromes miroirs brossés
sur toute la surface en couleur pure et brillante pour aboutir aux
monochromes noirs de 1980 : Présence et lumière du
noir. Révélateur. Pigment essentiel. La couleur qui
manquait le plus au poète Borges dans sa quasi-cécité.
Pour Roland Weber point focal qui ouvre, à la suite des reliefs
monochromes, sur les toiles réceptacles de 1983 : Les couleurs
pures étendues en qualité et quantité par le
peintre sont enserrées dans les châssis différemment
traités des toiles retournées. Chaque pigment est
laissé libre de dégager dans la matière son
énergie et sa lumière en y imprimant selon sa nature
le relief qui lui est propre. Par cette nouvelle manière
d'expérimenter les pigments le but est "d'arriver ainsi
à une matérialité spirituelle de la couleur"
en libérant "sa puissance vivante et pure" (Roland
Weber 1983).
Tout y est recueilli de la substance de ses travaux antérieurs.
Dans sa recherche d'intégrité de la couleur son rapport
au paysage reste constant, mouvement sensible tendu vers la lumière,
tension vivante vers l'absolu. C'est tout l'homme et c'est toute
sa peinture.
Il laisse derrière lui son oeuvre de peintre, une oeuvre
considérable où se manifeste son étonnante
unité intérieure en travail constant de renouvellement.
Un renouvellement vécu et ressenti parallèlement et
en échange constant avec des compagnons de route et avec
moi-même dans mon travail de sculpteur. Ceux qui l'ont connu
savent quel réel contact il pouvait établir soudain,
touchant l'essentiel sans peser, avec la couleur en soi.
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